by André Gide (1869 - 1951)
Lettres d'Alissa (fragments)
Language: French (Français)
'... Ici rien n'est changé dans le jardin; mais la maison paraît bien vide! Tu auras compris, n'est-ce pas, pourquoi je te priais de ne pas venir cette année; je sens que cela vaut mieux: je me le redis chaque jour, car il m'en coûte de rester si longtemps sans te voir ... Parfois, involontairement je te cherche; j'interromps ma lecture, je tourne la tête brusquement... il me semble que tu es là! Je reprends ma lettre. Il fait nuit: tout le monde dort; je m'attarde à t'écrire, devant la fenêtre ouverte; le jardin est tout embaumé; l'air est tiède. [...] Cette nuit, de toute mon âme je pensais: "Merci mon Dieu, d'avoir fait cette nuit si belle!" Et tout à coup je t'ai souhaité là, senti là, près de moi, avec une violence telle que tu l'auras peut-être senti.' 'Non, n'écourte pas ton voyage pour le plaisir de quelques jours de revoir. Sérieusement, il vaut mieux que nous ne nous revoyions pas encore. Je ne voudrais pas te peiner, mais j'en suis venue à ne plus souhaiter -- maintenant -- ta présence. Te l'avouerais-je? je saurais que tu viens ce soir ... je fuirais. [...] Ne me demande pas de t'expliquer ce ... sentiment, je t'en prie. Je sais seulement que je pense à toi sans cesse (ce qui doit suffire à ton bonheur) et que je suis heureuse ainsi.' 'La crainte de t'inquiéter ne me laisse pas te dire combien je t'attends. [...] Chaque jour à passer avant de te revoir pèse sur moi, m'oppresse. Deux mois encore! Cela me paraît plus long que tout le temps déjà passé loin de toi! Tout ce que j'entreprends pour tâcher de tromper mon attente me paraît dérisoirement provisoire et je ne puis m'astreindre à rien. Les livres sont sans vertu, sans charme, les promenades sans attrait, la nature entière sans prestige, le jardin décoloré, sans parfums.' 'Je vais un peu moins bien depuis quelque temps; oh! rien de grave. Je crois que je t'attends un peu trop fort, simplement.' 'A mesure que la jour de notre revoir se rapproche, mon attente devient plus anxieuse; c'est presque de l'appréhension; ta venue tant souhaitée, il me semble, à présent, que je la redoute; je m'efforce de n'y plus penser; j'imagine ton coup de sonnette, ton pas dans l'escalier, et mon cœur cesse de battre ou me fait mal ... Surtout ne t'attends pas à ce que je puisse te parler ... Je sens s'achever là mon passé; au-delà je ne vois rien; ma vie s'arrête.' 'Mon ami, je t'approuve entièrement de ne pas chercher à prolonger outre mesure ton séjour ici et le temps de notre premier revoir. Qu'aurions-nous à nous dire que nous ne nous soyons déjà écrit? [...] N'hésite pas, ne regrette même pas de ne pouvoir nous donner plus de deux jours. N'aurons-nous pas toute la vie?'
Note: Ellipses in square brackets [...] indicate that some of the original text is missing here (not set by Milhaud).
Text Authorship:
- by André Gide (1869 - 1951), appears in La Porte étroite , first published 1909 [author's text not yet checked against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Darius Milhaud (1892 - 1974), "Lettres d'Alissa (fragments)", op. 9 no. 6 (1913), rev. 1931 [ soprano and piano ], from Alissa, no. 6 [sung text checked 1 time]
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
This text was added to the website: 2012-06-19
Line count: 48
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