by Joachim du Bellay (1525 - c1560)
S'il m'en souvient, vous me distes un...
Language: French (Français)
Our translations: ENG
S'il m'en souvient, vous me distes un jour En vous tenant quelque propos d'Amour, Que vous n'estiez de si léger courage Que de juger du cueur par le visage, Qu'amour si tost ne se peult enflammer, Qu'il fault premier cognoistre que d'aymer, Et que hastif je voulois faire gerbe D'une moisson qui est encor en herbe. Vos argumens sont fort à redoubter, Mais s'il vous plaist mes raisons escouter, Vous cognoistrez qu'à vaincre ilz sont faciles, Et qu'ilz ne sont ny Hectors ny Achilles. Quant au premier, je ne veulx soustenir Que vous deviez pour oracle tenir Tout ce qu'on dict, ny que (soit vraye ou feincte) Dessus le front tousjours l'amour soit peincte. Les cueurs humains un labyrinthe sont, Qui maints destours, maintes cachettes ont, Où Ion se perd, qui n'a le fil pour guide D'un bon esprit, et jugement solide. Or avez-vous l'esprit si cler-voyant, Que nul destour, tant soit-il fourvoyant, Vos pas certains pouroit tromper en sorte, Qu'ils n'ay'nt tousjours la raison pour escorte ? Vos yeux, ma Dame, ont pouvoir de perser La nue espesse, et le ciel traverser, Passer le roc, sonder le creux de l'onde, Et voyager soubs la terre profonde. Qui pouroit donc empescher leur vigueur De pénétrer au plus profond d'un cueur, Et là au vray descouvrir la pensée D'un amoureux, s'elle est saine ou blessée ? Quant est de moy, je ne pris oncq' plaisir A contre-faire un amoureux désir, Comme ceulx là qui ayment par la plume, Et sans aymer, font l'amour par coustume. Je ne suis point si subtil artizan, Que de pouvoir d'un parler courtizan, D'un faulx souspir, et d'une larme feincte Monstrer dehors une amitié contraincte, Dissimulant mon visage par art, Car je ne suis ny Tuscan, ny Lombard. Qu'amour si tost en noz cœurs ne s'enflamme, Certainement je confesse, ma Dame, Que qui de soy ne se peult enflammer, Le temps luy sert de beaucoup à aymer : Et n'a dict mal, qui dict qu'à sa naissance L'amour est foyble, et de peu de puissance. Mais il s'entend de ces froides amours, Qui sont ainsi qu'on void un petit ours, Lequel n'est rien qu'une masse difforme, A qui sa mère en léchant donne forme. Le vray amour naist du premier regard, Et ne veult point se façonner par art : Et c'est pourquoy ces moitiez séparées, Estans jadis par le monde égarées, Se retrouvans si bien se rejoingnoient, Que jamais plus elles ne s'esloingnoient. J'ay plusieurs poincts, que je pourois induire A ce propos, si je voulois déduire Ce faict au long, et démonstrer comment L'amour s'engendre en nous premièrement, Quelle est sa fin, son essence et nature, D'où vient souvent qu'on ayme à l'aventure Un incogneu, et ne sçait on pourquoy, Fors que Ion trouve en luy je ne sçay quoy, Qui à l'aymer par force nous incite, Comme le fer, qui suyt la calamite. Je parlerois d'autres sortes d'amours, Mais ce propos est de trop long discours, Et me suffit vous avoir faict cognoistre Que par le temps mon amour ne peut croistre. Quant à vouloir faire preuve de moy, Si vous vouliez pour gage de ma foy Ma propre vie, ayant receu tel gage, Vous auriez faict à vous mesmes dommage, Perdant en moy un fidèle servant, Qui ne vous peult servir, s'il n'est vivant. Je suis content d'endurer mille peines, Mille soupirs, mille complaintes vaines, Mille desdaings, et refus rigoureux, Si autrement on n'est point amoureux : Mais s'il vous plaist imiter la clémence De cestuy-là, dont la bonté immense Ayant esgard à nostre infirmité Nous donne plus que n'avons mérité, Vous me ferez de vous mcsmes la grace, Que sans mérite envers vous je pourchasse : Sans qu'avec peine et longue passion J'aye vers vous moindre obligation, Comme j'aurois et telle jouissance Ne seroit grace, ains plus tost récompense. Quant à vouloir en herbe moissonner Ce qu'en espy vous me pourriez donner Avec le temps, si j'avois la science De le gaingner avecques patience, Je ne vouldrois qu'on me peust reprocher Que les fruicts verds je voulusse arracher, Ne que si fol, ou si hastif je feusse, Que leur saison attendre je ne peusse : Mais ne peult-on l'amour assaisonner, Comme les fruicts, et par art luy donner Maturité, sans bien souvent attendre Si longuement, pour le trouver plus tendre, Que par le temps, ou autre deffaveur Il ait perdu le goust, et la saveur ? Les fruicts d'amour sont de nature telle, Qu'ilz plaisent plus en leur saison nouvelle, Qu'en leur hyver, d'autant que leur verdeur Ne se meurit jamais par la froideur, Et n'ont le goust ny la couleur si franche, Quand de soy-mesme ilz tumbent de la branche. L'amour, ma Dame, en mon affection Est arrivé à sa perfection, Et ne pouroit ny le temps ny l'usage Y adjouter un seul poinct d'avantage. Donques pourquoy en sont les fruicts trop verds ? Prenez le cas, que cinq ou six hyvers Soi'nt jà passez, et qu'avec longue peine Ils soi'nt venus en accroissance pleine : De les cuillir on me peult dispenser, C'est le moyen, pour l'amour avancer.
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Confirmed with Divers jeux rustiques et autres œuvres poétiques de Joachim Du Bellay, Paris, Isidor Liseux, 1875, pages 69-73.
Text as set by Milhaud:
Le vrai amour naît du premier regard Et ne veut point se façonner par art: Et c'est pourquoi ces moitiés séparées, Étant jadis dans le monde égarées, Se retrouvant si bien se rejoignaient, Que jamais plus elles ne s'éloignaient.
Text Authorship:
- by Joachim du Bellay (1525 - c1560), "Élégie d'amour", appears in Divers Jeux Rustiques, no. 21 [author's text checked 1 time against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Darius Milhaud (1892 - 1974), "Le vrai amour", op. 409 no. 1 (1964), published 1966 [ soprano and piano ], from L'amour chante, no. 1, Bryn Mawr, Theodore Presser and Co. [sung text checked 1 time]
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- ENG English (David Jonathan Justman) , no title, copyright ©, (re)printed on this website with kind permission
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
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